
Suite au krach boursier de 1929, des millions de foyers américains connaissent la pauvreté. Le cinéma du fait de son coût modique est aors l’un loisirs les plus accessibles en ces temps de déprime. Afin de distraire les foules, les grandes maisons de production développent le genre de la comédie musicale. Warner Bros peut compter en cette année 1933 sur Bubsy Berkeley, chorégraphe en plein essor, pour éblouir les spectateurs .
L’histoire : Julian Marsh (Warner Baxter), célèbre réalisateur de Broadway au bord de la crise de nerf, parvient à réunir les financements pour monter son nouveau spectacle. Outre la star du show Dorothy (Bebe Daniels), il recrute un chanteur de talent (Dick Powell) et une palanquée de girls (Gingers Rogers notamment). Peggy Sawyer (Ruby Keeler), danseuse de claquettes timide mais ambitieuse , lutte contre la fatigue et la faim pour se faire remarquer. Mais c’est sans compter avec les histoires de coeur de la tête d’affiche et de l’aspirante vedette qui vont venir compliquer le lancement du show !
42ème rue est le premier d’une longue lignée de musicals qui narrent le montage d’un spectacle à Broadway (Tous en scène, Embrasse-moi idiot, etc.). C’est une invitation à découvrir les hauts et les bas d’une telle aventure mais des coulisses . A défaut d’être très original – des péripéties vaudevillesques -, le scénario est très enlevé : on ne s’ennuie pas une minute grâce à l’abattage des seconds rôles et leurs nombreux bons mots. Le code Hays (code de censure US) sera appliqué l’année suivante : les scénaristes de 42ème rue ont donc encore pu mettre en scène un couple qui a manifestement des relations sexuelles hors mariage, un don juan aux envies d’infidélité… Lloyd Bacon, le réalisateur, ne se prive pas de nombreux plans sur les décolletés et jambes des girls et filme une belle claque sur un postérieur féminin. Sans oublier le numéro du wagon-lit aux dialogues chantés comprenant de nombreux sous-entendus sexuels ! De tels clins d’oeil grivois seront bientôt du passé…

L’interprétation est l’un des points forts du film, mais bizarrement ce ne sont pas les premiers rôles qui le portent. Ruby Keeler est une jeune première plutôt fade, d’allure un peu démodée, au jeu sans nuance : yeux de biche et regards effarouchés au programme. Warner Baxter est impeccable dans l’exaspération permanente, mais ce sont surtout les seconds rôles comiques qui apportent du piment à la comédie : Ginger Rogers (affublée d’un monocle !) et sa camarade Una Merkel font preuve d’un bel abattage. D’une voix de fillette, la seconde sussure un bon lot de répliques tordantes. Guy Kibbee qui joue le producteur pigeon du show assure aussi quelques moments comiques. Ginger Rogers à l’aurée d’une belle carrière, d’ailleurs seul nom de la distribution bien connu du public français, assume avec talent un rôle secondaire mais décisif : les pontes de Hollywood l’avaient aussi repérée puisque la même année elle apparaît à l’écran avec Fred Astaire dans Carioca. Dick Powell censé être l’atout charme masculin du film a une tête de premier de la classe qui l’aurait plutôt amené aujourd’hui à intégrer la distribution de The big bang theory !

Photo Justwatch.com
Paradoxalement, ce film n’est pas très musical. Il comprend peu de numéros : il faut attendre 1h10 avant d’en voir un digne de ce nom. La totalité des chorégraphies se concentre lors du dernier quart d’heure. La bande-son se révèle très datée : les chansons sont interprétés par des voix bêlantes et stridentes. On est très loin des grands classiques d’Astaire ! Si Dick Powell a l’étoffe d’un vrai chanteur et fera une belle carrière en tant que tel souvent associé à la soprano Jeanette Mc Donald, Ruby Keeler est loin de faire des claquettes avec l’élégance d’un Fred Astaire.
Il faut préciser que Bubsy Berkeley n’a pas opté pour des chorégraphies en solo et en duo : il a orchestré des numéros nécessitant toute une troupe avec une débauche d’effets visuels à la clé : à défaut d’être réalistes (car censés se dérouler sur la scène d’un théâtre), ils sont spectaculaires (la scène finale montre un décor de buildings new-yorkais en carton pâte. Le chorégraphe n’hésite pas à innover en recourant à tous les accessoires imaginables pour tirer partie du noir et blanc : costumes, bandes de tissu, corps des girls … Il base ses chorégraphies sur des figures symétriques contrastées. La caméra plonge, glisse, se faufile au milieu des girls, et nous gratifie de kaléidoscopes formés des visages et jambes des jeunes et belles danseuses peroxydées. Je n’ai pas pu m’empêcher de penser à toute cette jeunesse vigoureuse morte et enterrée depuis bien longtemps.
42ème rue est un film pétillant, bien rythmé, aux interprètes séduisants. Si ses numéros dansés et chantés semblent datés et alambiqués aujourd’hui, j’ai passé un très bon moment lors de deux visionnages consécutifs. Ne boudez-pas votre plaisir !

L’édition DVD : Le support fait partie de la collection Forbidden Hollywood proposant des films tournés avant la mise en place du code Hays. Elle propose une image de qualité, mais on reste sur sa faim concernant les bonus multimédia inexistants. Même le menu est fixe. On se contentera donc du minimum syndical : les sous-titres français.